Fiction et fictionnalité auctoriales dans les littératures d’Asie
Appel à communications pour un colloque à l'Université Sorbonne nouvelle, Paris, 26-27 mars 2026
Par Maëlle SAVINA le 18 juillet 2025
Université Sorbonne Nouvelle, Paris, 26 et 27 mars 2026
Appel à communications
Organisation : Ashvini Chandrakumar et Maëlle Savina
Échéance de l’appel : 27 octobre 2025
Contact : ashvini.chandrakumar@sorbonne-nouvelle.fr, maelle.savina@sorbonne-nouvelle.fr
Appel à communications
Fiction et fictionnalité auctoriales dans les littératures d’Asie
Dans la théorie littéraire issue de la tradition européenne, la question de l'auteur·rice et de sa figuration fictionnelle sont cruciales et au cœur de nombreux débats, depuis la création des privilèges jusqu'à la « mort de l’auteur » proclamée par Barthes qui reconnaît toutefois la nécessité de cette figure dans Le Plaisir du texte (1973). Par la suite, des études invitent à repenser « la figure de l’auteur » (Couturier, 1995), « l’image de l’auteur » (Amossy, 2009) ou encore « l’écrivain imaginaire » (Diaz, 2007). L’intérêt scientifique pour ce sujet reste d’actualité : en attestent les colloques « Posture d’auteurs : du Moyen-Âge à la modernité » (2013, Lausanne) et « La figure de l’auteur entre hier et aujourd’hui : Posture(s) et esthétique(s) » (2023, Sfax). Par ailleurs, des œuvres récentes jouent avec le rapport entre le réel et des dispositifs de fictionnalité auctoriale (Triste tigre, Neige Sinno, 2023 ou Mon vrai nom est Elisabeth, Adèle Yon, 2025).
Toutefois, ces questionnements ont porté pour l’essentiel sur les littératures européennes. Comme l’affirme Étiemble au sujet des genres littéraires dans ses Essais de littérature (vraiment) générale (1975), inclure les littératures d’Asie renforce l’intérêt théorique et herméneutique de la recherche en littérature comparée. Dans la continuité d’Étiemble, nous souhaitons poursuivre ces réflexions théoriques et terminologiques à propos de la figure fictionnelle de l’écrivain·e, en élargissant le champ d’études aux littératures asiatiques, sans restriction générique ou chronologique. À partir d’une lecture du Dit du Genji par exemple, Françoise Lavocat analyse une conception de la fictionnalité dans le Japon médiéval et affirme que « rares sont les cultures où personne n’a eu l’intuition de la capacité de l’imagination à créer des mondes » (Lavocat 2016 : 202-203). Plusieurs questions se posent alors : quelles sont les modalités de représentation de l’auteur·rice en Asie ? Quelles méthodologies peuvent être employées pour établir une comparaison ? Comment faire cohabiter l’héritage théorique occidental sur la fiction et l’auteur·rice avec des théories asiatiques méconnues en Europe ? Dans la théorie littéraire tamoule, le poète peut être désigné par plusieurs termes : kavi (கவி), pulavar (புலவர்) voire cittar (சித்தர்). Ils renvoient à des réalités et des représentations différentes (Chevillard, 2014). Cet exemple invite à enrichir et à réexaminer les terminologies auctoriales et les notions qui permettent de les étudier (narratologie, genres, etc.) en prenant en compte les langues et littératures d’Asie.
1 - Fiction et fictionnalité de l’auteur·trice dans ses propres œuvres
Un premier aspect concerne la façon dont les auteurs·rices utilisent la fiction et la fictionnalité pour construire leur propre image : par la construction narrative d’une image de soi dans la fiction (un masque, une persona), par une représentation construite au sein du texte (un ethos) ou bien par une posture assumée dans le paratexte. Jérôme Meizoz (« Ce que l’on fait dire au silence : posture, ethos, image d’auteur », 2009), distingue l’image que cherche à renvoyer l’auteur·rice de celle qui est perçue par les lecteurs et lectrices. Dans certains genres, comme le watakushi-shōsetsu au Japon, traduit littéralement par « roman du “je” », ces présences de l’auteur·rice au sein des œuvres sont empreintes d’ambiguïté. Le shishōsetsu renforce l’équivoque entre auteur, narrateur et personnage dans un récit à la première personne . L’auteur·rice peut se dissimuler par le biais de procédés narratifs ou d’une persona identifiable par ses lecteurs ; c’est le cas dans Déchéance d’un homme (1948) qui participe à intégrer le pessimisme à la représentation auctoriale de Dazai Osamu 太宰治.
Le statut fictionnel d’un texte peut alors être remis en question : l’auteur apparaît dans des adresses directes au lecteur (Rabelais, Scarron), mais il peut également travestir les instances narratives, à travers un narrateur non fiable (Piranesi, Susanna Clarke, 2020) ou bien une métalepse, qui permettent de traduire ce franchissement de niveaux narratifs. Les modalités narratives sont nombreuses et l’auteur·rice peut se métamorphoser : de bête (Je suis un chat, Natsume Sōseki 夏目漱石, 1906 ; Mon oncle le jaguar, João Guimarães Rosa, 1969), il peut se faire avatar divin. Dans l'épopée indienne antique, le Mahābhārata, l’auteur se fictionnalise sous la forme de Ganesh, dieu de la sagesse à tête d’éléphant, au fil des différentes versions vernaculaires du texte en Asie du Sud et du Sud-Est. Ce récit lui serait dicté par Vyāsa, personnage et narrateur, qui incarne à son tour l’auteur.
Ainsi, les dispositifs de fictionnalité employés sont nombreux : récits enchâssés où se multiplient les figures auctoriales et où se superposent les niveaux narratifs (Boccace, Marguerite de Navarre) ou bien les fausses biographies. « Mao Ying zhuan » 毛穎傳 de Han Yu 韓愈, présenté et traduit par Han Jingjing, retrace la biographie d’un individu a priori réel, puisqu’elle respecte les codes du genre (famille, récit de sa vie, etc.). Comme l’indique Han Jingjing, le protagoniste est en réalité un pinceau. L’auteur peut ainsi recourir à des formes narratives identifiables, à un genre précis, en imiter les codes et renvoyer à une référentialité supposée. Les Lettres portugaises (1669) en sont un exemple bien connu. La présence de divers dispositifs fictionnels au fil des siècles, si elle n’atteste pas d’une théorie unifiée de la fiction, montre toutefois que de nombreux auteurs ont joué avec la manière de se représenter.
2 - Fiction et fictionnalité de l’auteur·rice hors les murs
Parmi ces dispositifs, Gérard Genette (Seuils, 1987) mentionne notamment les préfaces fictionnelles. Il dévoile ainsi le jeu ludique entre l’auteur, sa représentation fictive et le lecteur dans les seuils, à l’image de la construction fictionnelle de Mishima Yukio 三島由紀夫, véritable metteur en scène de soi dans ses œuvres et ses paratextes. Dans le théâtre de l’Inde ancienne, la mise en abyme du dramaturge participe à sa représentation métathéâtrale. Le drame de Kâlidâsa कालिदास Shakuntalâ s’ouvre par un prologue où le directeur de la troupe mentionne l’auteur et annonce sa pièce nouvelle. L’apparition de l’auteur dans ce seuil connaît un succès jusqu’en Europe au XIXe siècle (Le Blanc, 2014) avant d’être redécouvert récemment (agrégation de lettres, 2023-2024). Par ailleurs, en Inde, différentes anthologies exaltent sa légende de grand poète et de « serviteur de Kali » (Ebbesen, 1995). La portée de la réception peut donc rendre une figure d’auteur plus ou moins familière.
Yan Lianke 阎连科, autre auteur récemment étudié lors de l’agrégation de lettres, (2024-25), nous invite à considérer comment ces jeux de fictionnalisation auctoriale se manifestent. Dans son discours de réception du prix Hongloumeng (présenté et traduit par Gan Lu), il associe l’écrivain à la fois à un archétype espagnol, Don Quichotte, à un personnage chinois, Ah Q ou encore au « cheval enchanté » des Mille et une nuits. La fabrication fictionnelle de l’écrivain s’inscrit dans un dialogue diachronique complexe où se mêlent divers modèles. En Asie, quelles images de l’écrivain·e se construisent et dans quel imaginaire culturel s’inscrivent-elles ?
Les discours ou les entretiens peuvent être le lieu d’une mise en scène de soi par l’auteur·ice. José-Luis Diaz les a théorisés à travers la notion de « scénographies auctoriales comme techniques de marketing », qui créent un « écrivain imaginaire » voire un « écrivain-type » (2019 : 46-7). Balzac, vedette de sa propre vie, incarne bien ces pratiques; la presse et les médias ont contribué à sa fictionnalisation, jusqu’à en faire un personnage. Quelles seraient alors les modalités de mise en scène auctoriales employées dans les littératures d’Asie ?
Au-delà des auteurs ou autrices, la constitution du corpus ainsi que le choix d’un nom contribuent à ériger une figure fictionnelle à l’instar de la poétesse tamoule Avvaiyar ஔவையார், dont le nom désigne une vieille femme, sage et respectable. Selon Abithana Chintamani (An encyclopaedia of Tamil literature, 1910), il pourrait renvoyer à trois poétesses de différentes époques, du Ier au XIIIe siècle. La mise en recueil de ses poèmes et la création d’anthologies (Puṟanāṉūṟu, Les quatre cents puram) élaborent une figure emblématique. Cette représentation se retrouve dans les arts, où elle apparaît toujours sous les traits d’une vieille ermite.
Ainsi, la figure auctoriale se manifeste dans ses représentations diégétiques et au-delà, à travers le paratexte, l’épitexte public, l’épitexte privé, voire l’iconographie. Nous souhaiterions ouvrir une réflexion non exhaustive mais qui prendrait en compte la diversité et l’intérêt des littératures d’Asie. Les objectifs sont de nourrir les questionnements sur la fiction et fictionnalité de l’auteur·rice et de mettre en lumière l’importance de ces littératures et de leur transmission.
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Organisation : Ashvini Chandrakumar, Maëlle Savina
Comité scientifique : Françoise Lavocat, Claudine Le Blanc, Tristan Mauffrey, Nina Soleymani Majd
Échéance de l’appel : 27 octobre 2025
Date de l’évènement : 26 et 27 mars 2026
Lieu de l’événement : Université Sorbonne Nouvelle Paris 3
Contact : ashvini.chandrakumar@sorbonne-nouvelle.fr, maelle.savina@sorbonne-nouvelle.fr
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Pour une bibliographie indicative, voir ici: https://www.fabula.org/actualites/128655/fiction-et-fictionnalite-auctoriales-dans-les-litteratures-d-asie.html