Proposition pour une session de groupe ouverte lors du XXIIIe congrès de l’AILC,
Tbilissi, Géorgie, 24-29 juillet 2022
Charlotte Krauss, Université de Poitiers, charlotte.krauss@univ-poitiers.fr
Françoise Lavocat, Université de la Sorbonne nouvelle, francoise.lavocat@sorbonne-nouvelle.fr
Avec le soutien de la SIRFF-ISFFS (https://fiction.hypotheses.org) et de l’Institut Universitaire de France
Cette session de groupe propose de s’intéresser à ceux, qui, dans les œuvres fictionnelles, attirent généralement le moins d’attention : les foules et les anonymes.
Les personnages sans nom sont parfois illustres, comme « le petit prince », ou la créature de Frankenstein (qui est d’ailleurs souvent appelée par les lecteurs par le nom de son inventeur, confusion significative). Il est également des genres, comme les contes de fées, où les personnages semblent n’avoir pas besoin de nom. Dans certaines périodes et aires culturelles, le Japon ancien par exemple, les personnages de haut rang sont le plus souvent appelés uniquement par leurs titres (comme dans le Genji monogatari). Mais dans le roman réaliste comme au théâtre, notamment au XIXe siècle, ce sont surtout les serviteurs, les paysans, les pauvres gens qui en sont privés, ou doivent se contenter d’un prénom. L’absence de nom programme-t-il alors un rôle secondaire, ou même presque nul, dans l’action ? Quel effet produit la privation d’un nom (ou sa réduction à une initiale) pour un personnage principal, comme Ah Q, dans L'édifiante histoire d’Ah Q de Lu Xun (1921), ou K dans Le Procès de Kafka (1925) ?
Quant aux foules d’anonymes, on les rencontre dans les rues et les grands magasins, à l’occasion des fêtes et des bals, des guerres et des révolutions. Dans la littérature européenne, c’est la prise en compte du peuple comme constituant de la nation qui, depuis le début du XIXe siècle, mène à représenter les masses populaires et à donner un rôle actif aux oubliés de l’Histoire. Ainsi, la foule moscovite qui « se tait » à la fin de Boris Godounov (1831) d’Alexandre Pouchkine accepte les crimes d’Etat et se rend coupable. La peur bourgeoise des « barbares au milieu de la société » se retrouve dans des descriptions de masses incontrôlables et destructrices, par exemple dans la description de foules déchaînées dans les romans naturalistes. En parallèle à l’émergence du film, la littérature du début du XXe siècle représente les foules pour rendre compte d’une vie citadine sous le signe du progrès et du confort ; le réalisme socialiste s’intéressera quant à lui aux masses d’ouvriers – mais même joyeuses, les foules peinent à se détacher de l’arrière-plan et le récit tend souvent à suivre quelques personnages choisis qui reçoivent un nom. Cette lutte pour un rôle actif des foules anonymes pourra être l’une des questions à poser dans cette session de groupe. De même, il pourrait être intéressant de regarder les différences entre les médiums (roman, théâtre, film, bande dessinée…), les époques et les cultures.
Voici quelques pistes de réflexion, qui ne sont pas exhaustives :
- Personnages sans nom : quels sont les genres, les époques et les aires culturelles où l’intégralité ou une proportion significative de personnages ne reçoivent pas de nom ? Quels sont les effets produits par ce phénomène ?
- Nomination, genre et classe sociale : la nomination est-elle réservée aux classes supérieures ? Y-a-t-il une différence entre la façon de nommer les personnages féminins et les personnages masculins ? les paysans et les citadins ? les ouvriers et les bourgeois ? les enfants et les adultes ?
- Représentation de foules : quelles sont les occasions où apparait une foule ? Y-a-t-il des auteurs, des périodes, des genres qui les privilégient ? quels rôles leur fait-on jouer ?
Les langues de la session sont le français et l’anglais. Les approches diachroniques, les corpus larges, les analyses quantitatives sont particulièrement bienvenues.
Indicative bibliography / Bibliographie indicative
Drouet, Pascale et Françoise Dubor (dir.), La Foule au Théâtre, dossier des Cahiers FoReLLIS, Cahiers en ligne, 2015, https://cahiersforell.edel.univ-poitiers.fr:443/cahiersforell/index.php?id=327.
Goulemot, Jean Marie (dir.), « Foules », dossier de Littérature et Nation, n°1 de la 2e série, Université de Tours, 1990.
Lavocat, Françoise, « L'étude des populations fictives comme nouvel objet et le "style démographique" comme nouveau concept narratologique », https://www.fabula.org/atelier.php?Populations_fictives 24 septembre 2020.
Moretti, Franco, Graphs, Maps, Trees: Abstract Models for Literary History, London New-York, 2005.